Moules à pain de l’ancienne boulangerie Canada Bread
Récupérés de l’édifice de la boulangerie Canada Bread bâtie en 1947 au 90, rue King, bâtiment qui abritait le TNO dans les années 90, les moules ont servi dans la production multidisciplinaire « Canada Bread » en 1991-92.
Boulangerie Canada Bread et le Théâtre du Nouvel-Ontario
1947 / 1982
Selon Jeannine Larcher-Lalande, une usine à pain de Canada Bread est construite au 90, rue King au coût de 25 000$ (347 000 en 2021). La ville compte aussi d’autres usines à pain, dont Aunt May’s bread, fondée en 1924, ainsi que Ceccutti’s Bread((Le Voyageur, 25 juillet 1968, p. 7.)). L’usine à pain du 90, rue King ferme ses portes en 1970, puis est rachetée par Marcel Clément, qui loue d’abord les locaux à une équipe de menuisiers, Barsalou Woodcrafts((Jeannine Larcher-Lalande, Voyage imaginaire du Moulin-à-Fleur, [2011], diapositives 112-115.)).
Vers 1975, le secteur historiquement francophone de Sudbury – le Moulin-à-Fleur – comprend environ 2000 logements et 82 bâtiments commerciaux, concentrés sur l’avenue Notre-Dame. Deux résidents adultes sur trois sont locataires, et les loyers y sont les plus bas de la ville((Maurice Levac, Le Moulin à Fleur : un quartier homogène, Sudbury, Université Laurentienne, mémoire de baccalauréat (géographie humaine), 1977, p. 12-27.)). La moitié des adultes n’ont pas de diplôme d’études secondaires et frôlent ou vivent sous le seuil de la pauvreté, un taux huit points de pourcentage plus haut que la moyenne sudburoise. Cela ne veut pas dire que les Moulin-à-Fleurois sont malheureux : le trois quarts des résidents interviewés par l’étudiant Maurice Levac en 1976 se disent satisfaits de leur résidence et de leur quartier. La concentration et la proximité des commerces « permet aux gens de vaquer à leurs affaires à pied((Maurice Levac, 1977, op. cit., p. 14.)) »; c’est d’ailleurs le quartier où l’automobile personnelle est la moins répandue. Environ 80 % des 7500 résidents sont d’origine canadienne-française, et 88 % de ceux-ci utilisent le plus souvent le français à la maison – à comparer à une moyenne sudburoise de 67 %. On parle en français, mais on l’écrit et le lit rarement. Neuf résidents sur dix sont catholiques et 55 % vont à au moins une messe par semaine, un taux plus faible qu’autrefois, mais tout de même plus élevé que dans les autres paroisses de langue française de la ville. La paroisse comprend 26 comités ou organisations paroissiales, ce qui contribue à la préservation de traditions et de valeurs communes. L’origine rurale de plusieurs résidents, l’intensité de la vie communautaire et les « origines sociales communes » favorisent un « sentiment de chaleur » similaire à celui « d’une communauté très homogène » ou d’un « petit village » qui fournit un « sentiment de sécurité((Maurice Levac, 1977, op. cit., p. 22.)) ». À 21 ans, Levac, qui a vécu toute sa vie dans le quartier, constate aussi des fractures. Les jeunes sont moins pratiquants que leurs parents, puis ils ont plus d’instruction et de moyens, ce qui les pousse à acheter des maisons ailleurs – les 35 à 54 ans y sont moins nombreux que la moyenne sudburoise. La forte proportion de logements locatifs tend à faire du quartier « une porte d’entrée » à la ville, ce qui amène plus de « gens d’origine ethnique autre que la nôtre((Maurice Levac, 1977, op. cit., p. 26.)) », toujours selon Levac.
En mai 1970, cinq jeunes artistes anglophones forment le Sudbury Theatre Centre (STC) lorsqu’ils font venir à Sudbury la pièce Come Blow Your Horn d’une troupe de Barrie((« Sudbury Theatre Centre – 1970-2000. 30 years: 30 historic facts », The Sudbury Star, 26 septembre 2000, p. STC4.)). Le STC est constitué le 14 septembre 1971, sous la direction de Morey Spiegel. Le théâtre utilise d’abord une salle dans l’ancien INCO Club de la rue Frood pour ses représentations, qui peuvent accueillir entre 190 et 245 spectateurs. En 1973, l’organisation reçoit ses octrois du Conseil des arts du Canada et du Conseil des arts de l’Ontario pour présenter du théâtre de répertoire, dont les pièces A Streetcar Named Desire, Oliver, The Wizard of Oz, ainsi que The Sound of Music. En 1977, l’INCO reprend la salle, ce qui pousse le STC à aménager des ateliers et une scène pour les répétitions dans des locaux disponibles – en l’occurrence au 90, rue King. Les pièces sont présentées aux auditoriums Fraser et Alphonse-Raymond de l’Université Laurentienne. Le STC s’affaire alors à organiser une collecte de fonds pour ériger un foyer permanent au centre-ville, sur un terrain de la rue Shaughnessy donné au STC par la ville. Son inauguration a lieu en 1982. Partiellement aménagés pour le théâtre, les locaux inoccupés du 90, rue King trouveront preneur chez les dirigeants du Théâtre du Nouvel-Ontario…
Sous la direction du professeur de littérature, le jésuite Fernand Dorais, la Troupe laurentienne voit le jour en 1969, qui présente des pièces de répertoire. L’année suivante, des étudiants de l’Université Laurentienne, parmi lesquels on trouve André Paiement, Gaston Tremblay et Robert Paquette, lancent le spectacle de création multimédia Moé, j’viens du Nord, s’tie. L’animateur de la nouvelle équipe, Pierre Bélanger, insuffle de nouveaux objectifs à la Troupe, soit de favoriser « la création collective » pour « exprimer la réalité des gens dans l’immédiat […] d’une façon réaliste la vie des gens de Sudbury et du Nouvel-Ontario » pour « mettre la rue sur la scène((Pierre Bélanger, 1970, dans Michel Rodrigue, « 1970-1975 – Une nouvelle vision : la création collective », dans Guy Gaudreau (dir.), Le théâtre du Nouvel-Ontario. 20 ans, Sudbury, Éditions TNO, 1991, p. 14.)) ». Proche collaborateur et entrepreneur artistique, Yvan Rancourt se rappelle ainsi des événements :
Le TNO a commencé avec cette rencontre à la cafétéria de la Laurentienne. Un grand bonhomme à longs cheveux me reconnaît d’une rencontre à Earlton où il avait été question d’une coopérative d’artistes franco-ontariens. Moins d’une heure plus tard, j’étais un bénévole de la troupe universitaire où André Paiement montait une pièce de théâtre avec son équipe comme éclairagiste à la première représentation à l’auditorium Fraser ! L’année suivante, la troupe universitaire, devenue Théâtre du Nouvel-Ontario, s’installe à Sudbury. Cette fois, André Paiement et le premier administrateur de la troupe, Pierre Bélanger, me recrute pour prendre soin des finances et me rendre utile de diverses façons((Yvan Rancourt, « Souvenirs d’un fondateur du TNO », Le Voyageur, 18 octobre 2006, p. TNO-5.)).
Cette volonté mène à la fondation d’un théâtre de création, le Théâtre du Nouvel-Ontario, constitué en société en mars 1975((Geneviève Ribordy, « 1975-1981 – Place au théâtre d’ici et d’ailleurs », dans Guy Gaudreau (dir.), 1991, op. cit., p. 27-32; Michel Rodrigue, 1991, op. cit., p. 17.)). Le théâtre s’installe d’abord à l’ancienne salle Sainte-Anne, vis-à-vis de la paroisse du même nom, qui peut accueillir jusqu’à 375 spectateurs et qu’elle partagera avec La Slague. Le théâtre présente trois à quatre pièces par année – la moitié de répertoire, l’autre moitié de création, parfois en collaboration avec d’autres théâtres de langue française au pays. Ce partage fait l’objet de tensions, comme en témoigne une sortie de l’administratrice Denise Paquette-Frenette écrit en 1978 :
Ce qui rend le TNO franco-ontarien, ce sont, avant tout, les créations, ces pièces qui sont le point saillant de notre saison théâtrale (ou qui devraient l’être). Ces pièces originales, qui reflètent notre milieu, nos rêves, nos préoccupations, sont produites par des comédiens intégrés au milieu, par des metteurs en scène qui comprennent le milieu, par des auteurs qui sentent un besoin viscéral d’écrire, de jouer, de dire notre Sudbury français, avec ses problèmes de langue, sa vitalité, des complexes. Contribuer à offrir des œuvres de répertoire forcera le TNO à changer de nom((Denise Paquette-Frenette, [1978], dans Geneviève Ribordy, 1991, op. cit., p. 33.)).
Invitée à compléter sa pensée en entrevue, Denise Paquette-Frenette rappelle : « Il y avait beaucoup de pression pour que le TNO monte des pièces qui feraient rire les gens, qui étaient connues, etc((Entretien ZOOM de Serge Dupuis avec Denise Paquette-Frenette, 10 août 2021, 1h26.)). » Robert Paquette ajoute une autre tension, bien présente :
Le TNO se devait d’être communautaire, parce qu’il n’y en aurait pas sinon. […] On s’attendait que le TNO prenne cette place là – de la création, du répertoire et du communautaire, mais le mandat du TNO devait être la création((Entretien ZOOM de Serge Dupuis avec Robert Paquette, 10 août 2021, 1h27.)).
Sans qu’on sache exactement pourquoi, la Salle Sainte-Anne est libérée à l’hiver 1980-1981, dans laquelle on vient d’emménager des équipements. La Slague convient de s’installer à la Place Saint-Joseph et demande au TNO que la salle soit libérée au 31 mars 1981((Geneviève Ribordy, 1991, op. cit., p. 36-39.)). De mai à décembre 1981, le TNO se retrouve dans les locaux libérés de l’édifice Empire, mais le loyer est plus élevé pour ses moyens modestes. Selon l’historique que publiera Le Voyageur, le TNO « n’existait plus que dans quelques boîtes au sous-sol chez un administrateur((« Bref aperçu d’une longue histoire », Le Voyageur, 18 octobre 2006, supplément, p. 8.)) ». Yvan Rancourt se rappellera :
Début des années 1980, on me demande d’endosser temporairement le collier administratif pour terminer la saison et pour recruter une nouvelle équipe. À Ottawa, il y avait justement [les dramaturges] Jean-Marc Dalpé et Brigitte Haentjens, [avec qui] c’était facile [de faire renaître le TNO de ses centres]. Le rôle de spectateur me comble, retour dans les archives et dans l’audience((Yvan Rancourt, 18 octobre 2006, op. cit., p. TNO-5.)).
À l’hiver 1982, le TNO s’installe au 90, rue King. C’est ainsi que le théâtre fait un « retour aux sources […] vers la communauté((Hélène Lavoie, « 1981-1985 – Retour au sources : vers la communauté », dans Guy Gaudreau (dir.), op. cit., 1991, p. 41.)) » d’après l’historienne Hélène Lavoie. En plus du déménagement au Moulin-à-Fleur, l’arrivée de Hearst de Paulette Gagnon à l’animation au TNO favorise un tel rapprochement. Selon la nouvelle directrice Brigitte Haentjens, « le défi est pourtant toujours immense à cause de l’isolement, et d’autant plus en milieu minoritaire, mais cette réalité nous nourrit, nous oblige à chercher l’essentiel, et c’est bien ça, la matière de tout artiste((Brigitte Heantjens, [1982], dans Hélène Lavoie, 1991, op. cit., p. 42.)) ». La nouvelle équipe se donne sept objectifs pour la viabilité financière et artistique du théâtre, en se rapprochant des élèves et en soutenant les artistes. On souhaite par ailleurs « devenir un foyer […] pour les créateurs franco-ontariens », en faisant travailler les gens du milieu et « renouer avec la communauté sudburoise, notamment par l’organisation de spectacles communautaires » afin de « participer au développement d’une conscience politique au sein de la communauté ontarienne((Hélène Lavoie, 1991, op. cit., p. 42.)) ». C’est une période d’expansion, mais Lavoie précise :
Une priorité de l’équipe : régler le problème du local. Le TNO envisage devenir propriétaire de sa salle de spectacles. C’est une préoccupation constante depuis cette période. Dans l’immédiat, il faut rendre habitable l’édifice de la rue King, ce vieil entrepôt délabré. On doit changer les fenêtres, faire l’isolation thermique et refaire la toiture. L’une des conditions de location stipule qu’on fixe le loyer à bas prix, à condition que le TNO assume les coûts des réparations de la bâtisse. Au cours de cette période, grâce à des subventions qu’il obtient en vertu d’un programme de création d’emplois du gouvernement fédéral, le TNO réalise trois projets de rénovation de l’édifice((Hélène Lavoie, 1991, op. cit., p. 42-43.)).
On lance des pièces qui connaissent un succès remarqué, signées par Brigitte Haentjens (Nickel, 1983), Jean-Marc Dalpé et Robert Marinier (Les Rogers, 1985), et des pièces pour enfants présentées dans les écoles((Marie-Claude Tremblay, « 1985-1989 – De la controverse à la consécration », dans Guy Gaudreau (dir.), 1991, op. cit., p. 53-60; Hélène Lavoie, 1991, op. cit., p. 44-47.)). On lance des programmes de rapprochement avec les femmes et les élèves. Les finances et l’administration se stabilisent – avec des revenus et des dépenses qui oscillent entre 250 000 et 400 000$((Marc Despatie, « Laissons parler les chiffres », dans Guy Gaudreau (dir.), 1991, op. cit., p. 69.)). En mai 1986, le TNO tient un téléthon pour acheter l’édifice, « la réalisation d’un rêve de longue date » qui signale « une implantation durable au sein de la communauté et présage sans doute une participation encore plus active dans son milieu((Marie-Claude Tremblay, 1991, op. cit., p. 59.)) ». On engrange des recettes de 23 000$, en plus d’octroi d’un ministère de la Culture et des Communications, de la Caisse populaire Saint-Jean-Baptiste et de la fondation de la famille Bertrand. En 1991, on imagine une salle pour devenir « un important outil de diffusion : sa propre salle, élément indispensable pour atteindre la stabilité tant souhaitée », d’après Marie-Claude Tremblay :
Cette salle représente l’aboutissement logique de ces longues années à faire vivre le théâtre chez-nous. Bien que ce projet ne fasse pas encore véritablement partie de l’histoire du TNO, il revêt une très grande importance. En plus de symboliser son enracinement dans la communauté, il concrétisera un engagement du TNO face à lui-même. Cette salle facilitera la présentation de spectacles, autant ceux de la compagnie que ceux qui nous viennent d’ailleurs. Le TNO pourra encore mieux desservir ce milieu qui l’a enfanté et qui l’a vu grandir. Il aura alors une place permanente dans la communauté franco-ontarienne, du Nord de l’Ontario, voire même de toute la province((Marie-Claude Tremblay, 1991, op. cit., p. 60.)).
Après un succès pour la pièce communautaire La Noce (1985), qui attire 1100 spectateurs, Paulette Gagnon rédige la pièce Café Rendez-vous (1987), qui implique une équipe de 44 comédiens et artistes amateurs((« Chronologie des spectacles », dans Guy Gaudreau (dir.), 1991, op. cit., p. 79; Marie-Claude Tremblay, 1991, op. cit., p. 54.)). La pièce est présentée les 4, 9, 10, 11 et 12 décembre 1987.
La pièce, selon l’autrice Paulette Gagnon, « s’inspire beaucoup du Moulin à Fleur, de ce que j’ai pu y voir et y vivre depuis cinq ans(([Paulette Gagnon], Café Rendez-vous, troisième version, Sudbury, Théâtre du Nouvel-Ontario, août 1987, p. A, Archives de l’Université Laurentienne, Fonds P023 (Fonds Théâtre du Nouvel-Ontario), dossier 1266.)) ». La vingtaine de personnages est surtout celle des « réguliers » au Café Rendez-vous – vraisemblablement inspiré par le café Maria’s de l’avenue Notre-Dame. On retrouve deux retraités, un homme divorcé (qui ne voit plus ses enfants), un chômeur, une mère monoparentale, une adolescente, son chum, une femme battue, les copropriétaires Denise et George du restaurant, un homme d’affaires mêlé à la politique, un propriétaire d’immeubles, un informaticien, un homosexuel, un bègue ayant subi des traitements d’électrochocs, un clochard, un employé du TNO(([Paulette Gagnon], août 1987, op. cit., p. B-E.)). Au Café Rendez-vous, « on se met à jaser », « on n’est pas pressé », on « a ben du temps pour s’agacer » et on vient manger des repas préparés par « une vrai môman(([Paulette Gagnon], août 1987, op. cit., p. 1.)) ».
La pièce se décline en trois actes et se déroule sur une semaine. Denise rêve à la retraite dans cinq à dix ans, tandis que George, rêveur, veut prendre sa retraite bientôt ou se lancer dans un nouveau projet. Les défis sociaux des personnages sont nombreux et on constate les pressions sociales qui pèsent sur la mère monoparentale, protectrice de sa fille et qui devrait, selon les réguliers, « se trouver un homme ». La propriétaire garde l’entreprise à flot et cherche à encadrer son mari rêveur et par moments imprudent. L’école secondaire (le Collège Notre-Dame ?), le centre d’achat (le City Centre ?), le Burger King, l’épicerie Valdi, le « 5-10-15 », le TNO et les silos font aussi partie de l’environnement. On note une évolution récente dans les mentalités, comme l’explique Denise à la retraitée Jeanine : « Aujourd’hui, Jeanine, ce sont les femmes qui veulent rester à la maison qui ont de la misère à se marier, par celles qui travaillent((Denise à Jeanine, dans [Paulette Gagnon], août 1987, op. cit., p. 7.)) ! » L’environnement se veut aussi accueillant des différences, où Gerry le bègue va dépasser sa gêne et Laurent l’homosexuel est très apprécié pour le soutien moral qu’il offre à la serveuse Catherine et au propriétaire George, qui rêve à « un nouveau restaurant […] high class pour le monde qui ont les moyens, spécialisé dans le poisson((George à Ray, dans [Paulette Gagnon], août 1987, op. cit., p. 10.)) » qui se situerait dans les silos, qui deviendrait une attraction touristique en installant le musée à sa base. Denise et Louise trouvent que « c’est un projet de fou », alors que « ton restaurant va ben, tu fais de l’argent là((Louise et Ray à George, dans [Paulette Gagnon], août 1987, op. cit., p. 11.)) ». Il est encouragé par le président de l’association des marchands, Belcourt, qui veut présenter le projet à la ville et aux autorités provinciales à Toronto. Il rajoute des dimensions comme une spécialité dans les viandes sauvages, un centre d’achat souterrain après avoir vidé le marécage. C’est seulement après une grève de la faim par les réguliers, une promotion télévisuelle pour le « Resto-Silo » produite avec le TNO, puis des offres d’achat par certains d’entre eux que George comprend qu’il veut franchiser le Café-Rendez-vous pour le Moyen-Nord.
Donne-moi une couple d’années puis on va en avoir partout des Café Rendez-vous ! […] Dans dix ans, ma noire, nous autres, on va vivre dans une belle grande maison au bord de l’eau […] Le secret là, c’est de venir à boutte de garder l’esprit original du rendez-vous… Va falloir que tu m’aides à trouver l’ingrédient magique… parce que c’est ça qui va faire que ça va marcher((George à Denise, dans [Paulette Gagnon], août 1987, op. cit., p. 49-50.))…
Et de répondre Denise :
Ma belle balloune préférée. En touka, j’suis bien contente de rester ici… Tu sais que j’étais bien décidée d’acheter ta part si tu t’obstinais à vouloir vendre. […] Hey, j’vas nous faire une belle soupe aux légumes… puis une sauce spaghetti […] On va vous préparer la meilleure bouffe jamais servie au Rendez-vous ! […] Un club. Une frite, pas de sauce. Un jus de pomme. Un bacon & eggs, avec un jus d’orange. Du pain brun. Un hamburger with the Works. Un chili. Un fish & chip. Un western toasté. Une soupe. Un hot chicken((Denise à George, dans [Paulette Gagnon], août 1987, op. cit., p. 50.))[…]
D’autres thèmes sont abordés, comme la sexualité. Catherine est tombée enceinte à 16 ans et ne souhaite pas le même sort pour sa fille Anita. Denise lui conseille :
Combien de fois dans toute ta vie t’as parlé de sexualité… sérieusement ? […] C’est parce qu’on en a jamais parlé qu’on est pas à l’aise… […] Puis si tu penses que tu pourrais pas dealer avec un avortement ou un mariage forcé à 15 ans ou une fille-mère dans ta cuisine, bon t’es peut-être mieux d’y expliquer à quoi ça sert des condoms((Denise à Catherine, dans [Paulette Gagnon], août 1987, op. cit., p. 23.)).
On pourrait se retrouver au café d’un sit-com américain des années 1980, bien qu’on soit dans un quartier ouvrier canadien-français. Le soutien entre personnes affligées par des défis sociaux compte parmi les messages clés de la pièce, en plus de la joie qu’ils vivent malgré eux. Le complexe des silos symbolise l’ambition démesurée, qui rendrait certains inutilement malheureux. La maison au bord du lac et une franchise moyen-nord-ontarienne sont proposés comme étant des rêves plus appropriés. On peut y voir un certain jugement de valeur, mais aussi un reflet de ce qui constitue la « bonne vie » selon plusieurs Franco-Sudburois. C’est une pièce où les gens du quartier pourraient se reconnaître, même si l’absence de certains symboles peut surprendre, comme le fait qu’il n’y a pas d’anglophone au Café Rendez-vous, sauf pour la journaliste de Mid-Canada Television (MCTV), l’antenne locale. Dans une pièce en français, il serait difficile de tenir des dialogues truffés de code-switching, mais on inclut des expressions et des conjonctions à l’anglaise pour faire un clin d’œil au franglais. On ne mentionne pas plus la paroisse ou la caisse populaire, pourtant des traits distinctifs d’un quartier ouvrier canadien-français, mais peut-être jugés comme étant des lieux de sociabilités d’une époque révolue.
Le TNO monte d’autres représentations qui s’inspirent du Moulin-à-Fleur. Dans la création multimédia « Canada Bread » – qui souligne les 20 ans du TNO en septembre 1991, que l’étudiant Michel Bock résume dans les pages de L’Orignal déchainé :
Imaginez ceci. Vous êtes plongé dans les ténèbres d’une voûte souterraine. Vous pénétrez lentement dans les plus profondes entrailles d’un monument presque oublié de toute espèce humaine. Soudainement, le chuintement d’une forêt galvanisée se fait entendre, ajoutant du même coup à la quiddité occulte de l’expérience que vous venez d’entreprendre. Voici maintenant qu’un boulanger à tresses, après avoir projeté quelques grains d’une céréale quelconque, vous entraine dans… un four construit entièrement de moules à pain. Mystérieux ? Sûrement. Énigmatique ? Sans doute. Mais ne craignez rien. Vous n’êtes qu’au 90, rue King, et vous assistez à une performance du premier projet de la vingtième saison du Théâtre du Nouvel-Ontario, soit Canada Bread. Canada Bread n’est pas ce qu’on pourrait appeler une pièce de théâtre traditionnelle. En effet, cette « performance multidisciplinaire » s’éloigne de toute convention théâtrale pour projeter le spectateur dans une expérience tout à fait unique en son genre. Son thème principal, « unificateur », est celui du pain, avec tout ce que cela peut entrainer…« Pas une, pas deux, mais trois boulangeriez françaises en Nouvel-Ontario ! » « Pain, paix, et liberté ! » No pain, no gain ! Pas de pain, pas de gain » « The Invisible man is here ! » Voilà quelques-uns des cris de ralliement qui font écho sur les murs de rez-de-chaussée de l’ancien édifice Canada Bread. En effet, ce premier projet du TNO tente de démontrer, du moins à notre sens, les problèmes culturels auxquels font face les Franco-Ontariens, problèmes occasionnés, d’une part, par un statut socio-économique traditionnellement inférieur, et d’une autre, par une identité collective en constante évolution. Le pain, pivot de toute performance, devient le symbole de la lutte que les Franco-Ontariens en général et que l’Artiste franco-ontarien en particulier doivent livrer quotidiennement pour pouvoir accéder, un jour, à une situation qui favorisera le développement socio-culturel de notre peuple. « Tannée de m’endetter pour vous faire rire ! » En ce qui concerne le spectacle comme tel, on n’a que de bonnes choses à dire à son sujet. Les comédiens, dont la plupart proviennent de Perspective 8, sont très intéressants, voire captivants, et se prêtent bien à ce genre de théâtre. Soulignons d’excellentes performances de la part de Robert Dickson et de Pierre Albert. De plus, les décors, souvent fabriqués de pain, sont ingénieux et originaux((Michel Bock, « « Canada Bread » la pâte a bien levé », L’Orignal déchainé, 17 septembre 1991, p. 10.)).
Les gens qui ont assisté à la performance « Canada Bread » ont aussi pu observer des sculptures de l’artiste Maurice Gaudreault dépeignant des scènes d’antan, dont une reproduction en argile du four à pain du père Germain Lemieux, fondateur du Centre franco-ontarien de folklore. Gaudreault partage son métier avec André Girouard :
Je reconnais que je suis avant tout, raconteur d’histoires. Les récits des vieux de mon temps, livrés dans un langage coloré, ont charmé mon enfance. Ces raconteurs d’antan m’ont légué leurs souvenirs. Mon tour est venu de les transmettre et je le fais à ma manière. Lorsqu’une sculpture se détache de la terre, j’éprouve une profonde satisfaction parce que je crois que mon geste a renforcé le lien qui nous rattache au passé. Je suis né dans le nord de l’Ontario, d’un père québécois et d’une mère américaine. J’ai vu bien du pays, mais j’ai voulu établir mon studio dans le nord où mes racines sont bien ancrées((André Girouard, « Le four à pain », Le Voyageur, 6 novembre 1991, p. 12.)).
Le TNO est dirigé alors par Sylvie Dufour, qui renouvelle le bassin d’auteurs. En décembre 1990, Le Voyageur écrit :
Sylvie Dufour, metteure en scène de la pièce communautaire Les Fridolinades, est en Ontario depuis 7 ans. Elle a su réitérer cette année le succès de la pièce Les douze hommes en colère, spectacle communautaire l’an passé((« Bravo Sylvie! », Le Voyageur, 12 décembre 1990, p. 1.)). […] C’est devant une salle comble que les 32 acteurs de la pièce communautaire du Théâtre du Nouvel-Ontario ont déployé leurs talents la semaine dernière (en tout, il y aura eu quatre représentations). Mise en scène par Sylvie Dufour, la pièce Les Fridolinades a pris une vie toute particulière grâce au travail acharné des participants. Devant un public charmé, Réjean Mathieu, alias Fridolin (mais un Fridolin à la Dick Tracy, dont le costume se mofifiait [sic] au cours du spectacle), a présenté les différents tableaux. Tout à tour, nous avons vu s’animer des scènes de la vie quotidienne des années quarante, toujours teintées d’un humour familier, comme par exemple la scène de la jeune fille qui se prépare pour ses noces (le mariage d’Aurore, avec Rachel Desaulniers et Denis Saint-Jules), ou le conscrit qui revient de guerre pour constater que sa fiancée a épousé un autre homme (une mention toute particulière au jeu de Roger Clavet, excellent conscrit bafoué). La mise en scène, simple et nette, convenait parfaitement à la pièce, et les acteurs y paraissaient à l’aise. Le décor, coloré mais sans prétention, a sur rehausser le jeu et les mouvements des personnages((Florence Meney, « Les Fridolinades remportent un grand succès », Le Voyageur, 12 décembre 1990, p. 2.)).
Certaines productions du TNO sont récompensées : Le Chien (1989) de Jean-Marc Dalpé et French Town (1994) de Michel Ouellette remportent le Prix du gouverneur général((« Bref… », 18 octobre 2006, op. cit., supplément, p. 8.)).
Redevenu administrateur au TNO, Yvan Rancourt convient qu’il faut « rénover la bâtisse ou déménager((Yvan Rancourt, 18 octobre 2006, op. cit., p. TNO-5.)) ». On imagine alors une institution pour l’ensemble des organismes artistiques de Sudbury. Ce rêve s’écroule, à court terme, lorsque le TNO choisit d’aménager une boîte noire à même le nouveau campus du Collège Boréal en 1997.
Ce déménagement coïncide avec l’arrivée d’André Perrier à la direction artistique. La production de Patrice Desbiens, Du Pépin à la Fissure, remporte le Masque de la meilleure production franco-canadienne en 2001((« Bref… », 18 octobre 2006, op. cit., supplément, p. 8.)). Deux ans plus tard, la coproduction Univers remporte le même honneur. Le TNO reçoit le premier prix Trille Or (2003), décernés par l’Association des professionnels de la chanson et de la musique, à titre de meilleur diffuseur de l’Ontario français. Avec sa coproduction Violette sur la terre, le TNO réalise la plus grande tournée d’une production adulte franco-ontarienne avec ses 67 représentations offertes en Ontario, au Québec et en France. André Perrier lance sa dernière programmation en septembre 2004, comme l’écrit Le Voyageur :
Le Conseil d’administration a honoré le travail de son directeur artistique pour ses six années passées au TNO. Ce dernier a remercié ses proches et le public sudburois pour son appui continu. « Vous ne serez pas déçus de la saison que je vous ai concoctée. Je vais vous gâter en guise de cadeau de départ », dit M. Perrier. La saison du TNO se mettra officiellement en branle le 30 octobre prochain avec un spectacle des poètes Marc Lemyre et Daniel Aubin. Le jeune finissant du programme Arts d’expression de l’Université Laurentienne lancera son premier recueil de poésie intitulé Plasticité.
Le TNO présentera cinq pièces de théâtre cette saison. Selon M. Perrier, un des moments forts de la saison risque d’être la présentation d’un texte de Patrice Desbiens, L’homme invisible. Cette pièce réalisée par Robert Bellefeuille sera interprétée par un Sudburois, Robert Marinier. Elle sera présentée du 7 au 9 avril. Les autres pièces sont Encore une fois si vous me le permettez, de Michel Tremblay, Lentement la Beauté, du Théâtre Niveau Parking, Le Testament du couturier, de l’auteur franco-ontarien Michel Ouellette, et la pièce pour adolescents Cette fille-là. Encore une fois cette année, la metteure en scène Hélène Dallaire dirigera la troupe de théâtre communautaire pour la pièce Don Quichotte. Les auditions pour ce spectacle ont lieu les 14 et 15 septembre. Cette adaptation théâtrale de Jean-Pierre Ronfard sera présentée du 17 au 27 novembre. Les artistes Josée Lajoie, Paul Demers et Serge Monette clôtureront l’année 2004-2005. On lancera du même coup la première saison de la nouvelle directrice artistique, Geneviève Pineault. Un musicien d’origine franco-texane, Thomas Hellman, a clôturé la soirée de lancement((Jean-François Fecteau, « André Perrier lance sa dernière programmation », Le Voyageur, 15 septembre 2004, p. 4.)).
À l’automne 2004, Geneviève Pineault prend la barre du TNO à titre de directrice artistique et générale((« Bref… », 18 octobre 2006, op. cit., supplément, p. 8.)). Elle contribue à la professionnalisation et à la sophistication du théâtre, comme en témoigne un appel d’offres pour une planification triennale en 2005 :
« Réalisation d’un plan d’affaires triennal
Le Théâtre du Nouvel-Ontario (TNO) est un organisme à but non lucratif dont la mission est de créer et de diffuser des œuvres théâtrales professionnelles afin d’enrichir et de faire rayonner la vie artistique et culturelle de son milieu. Le TNO souhaite se doter d’un plan d’affaires triennal, comprenant un plan de communications et un plan financier, afin d’élargir sa clientèle et augmenter son autonomie financière.
Objectifs du projet
- Définir l’identité du TNO, son produit et les nouvelles orientations de la compagnie;
- Repositionner le TNO au plan régional;
- Définir le marché existant et potentiel du TNO;
- Établir des cibles précises afin d’augmenter la clientèle et les revenus autonomes du TNO;
- Identifier des commanditaires potentiels;
- Élaborer des maquettes de communiqués de presse, de programmes, de spectacles, d’affiches, d’outils publicitaires, etc.;
- Résultats escomptés du projet
- Augmentation des ventes de billets simples;
- Augmentation des abonnements;
- Développement de nouveaux outils de promotion;
- Commanditaires de saison et/ou de productions;
- Mise sur pied d’activités de sensibilisation et de développement de nouveaux publics((Théâtre du Nouvel-Ontario, « Appel d’offres », Le Voyageur, 19 janvier 2005, p. 16.)). »
Après une décennie en scelle, Pineault présente une programmation « avec une réputation grandissante » selon Nicole Lortie du Voyageur :
« Elle a choisi la devise Sans frontières pour cette saison « […] pour que nous puissions outrepasser nos délimitations personnelles, disciplinaires, linguistiques et géographiques. […] Je crois sincèrement que l’art nous permet de franchir des frontières », indique-t-elle.
Quand la mer…
La saison, qui débutera officiellement le 7 octobre prochain, aura cependant connu son départ en septembre alors que le TNO, en coproduction avec le Théâtre de la Vieille 17 et du Théâtre Sortie de Secours, présentera à Québec. Quand la mer…, un texte d’Esther Beauchemin, directrice artistique du Théâtre de la Vieille 17. La pièce, inspirée par la réalité de l’assèchement de la mer Aral au Kazakhstan, retrace le vécu d’un village de pêcheurs qui vit l’imaginable d’une mer qui se retire alors que les bateaux s’enlisent et que les poissons se font rares. Courage et fierté font persévérer, mais chaque génération doit abandonner des éléments de son identité. « Cette pièce illustre ce qui arrive quand tes traditions, ta culture, tes raisons de vivre, ton essence d’être disparaissent, de préciser Mme Pineault. On témoigne d’une nouvelle sorte de réfugiés, soit ceux qui doivent quitter leur chez-soi à cause de ce que l’on fait à l’environnement et des changements climatiques. » Avec une distribution de six comédiens, la pièce, qui a pris six ans pour être écrite, introduit également des commères qui commentent tout au long de la présentation. Parmi la distribution, on retrouve deux comédiennes de la région, soit Céléste Dubé et Annick Léger.
La cantatrice chauve
Le TNO présentera sa 34e production communautaire avec la pièce La cantatrice chauve, d’Eugène Ionesco. Écrite en 1950, elle tient toujours l’affiche, depuis ce temps, à Paris.Cette comédie de l’absurde et du malaise existentiel sera mise en scène par Mme Pineault. « Cela faisait un bout de temps que je n’avais pas eu l’occasion de faire une mise en scène, de dire celle-ci. En effet, c’est depuis 2002 que j’avais eu l’occasion et surtout le temps de diriger des comédiens. » La pièce, qui est l’archétype d’une scène britannique, a une distribution de six comédiens. « Les comédiens choisis, qui sont des amateurs, font ceci avec passion, de souligner la directrice. C’est pour ceux qui veulent se plonger dans l’absurde. »
UN
Le monologue autobiographique UN, de Mani Soleymanlou, qui a écrit le texte et l’interprète tout en assurant la mise en scène, est une création d’Orange Noyée, compagnie de l’auteur, ainsi qu’une coproduction avec La Chapelle et le Théâtre du Grand Jour. Seul en scène, Mani Soleymanou livre un monologue sur les notions d’identité, de solidarité et de quête de soi d’un Iranien qui a parcouru plusieurs pays du globe et qui est toujours à la recherche de son identité. « Mani est un monologuiste extraordinaire pour qui j’ai eu un coup de cœur lorsque je l’ai vu sur scène, d’expliquer Mme Pineault. Sa question demeure quand arrête-t-il d’être un nouvel arrivant après toutes ces années passées ici. Cet homme, qui ne se connait pas, vous fera connaitre votre propre humanité. »
Bienveillance
Une coproduction du Théâtre PÀP et des Productions À tour de rôle, Bienveillance, de l’auteure québécoise Fanny Britt, est une excursion dans les relations entre un avocat d’une firme prestigieuse qui se retrouve en conflit avec son ami d’enfance alors qu’il doit représenter une compagnie responsable d’une tragédie dans la vie de cet ami. Cette comédie dramatique amène vers une prise de conscience troublante par ses questions philosophiques. « Cette pièce illustre les conséquences aux changements de pensée et de direction, de dire Mme Pineault. Elle explore également les notions de bienveillance et de bonté. »
Théâtre physique
Le TNO est fier de présenter LEO, une production allemande de Y2D Productions de Montréal et Chamâleon Productions de Berlin, cette présentation pour adultes et ados est une idée originale de Tobias Wegner, qui présente également ce tour de force technologique sur scène. Il s’agit tout simplement de déplacer sa perception d’un quart de tour et tout devient à la fois magique et maladroit. L’impossible côtoie l’absurde alors qu’un écran géant projette en taille réelle les jeux reproduits par une caméra penchée à 90 degrés. « C’est une occasion unique et rêvée de se laisser aller dans l’imaginaire avec la complexité de la simple technologie, de préciser la directrice. Sous la mise en scène de Daniel Brière, c’est une pièce très physique pour l’acteur qui réussira, sans doute, à faire ressortir le côté enfantin, innocent et émerveillé chez l’adulte et chez l’ado. » Cette pièce a été présentée partout à travers le monde, puisque sa présentation sans paroles lui permet d’être accessible à plusieurs pays et cultures.
Pièces pour enfants
Dans sa série Spectacles jeunesse, le TNO propose deux présentations. L’Atelier, pour les 4 à 8 ans, est une production de Bouge de là qui comprend une distribution de deux danseurs et deux danseuses qui explorent un atelier de peintre et qui se métamorphosent grâce aux découvertes qu’ils y trouvent. La technologie permet des mouvements, des projections et des jeux de lumière, et des tableaux vivants pour un pur émerveillement. « La pièce représente ce qui arrive quand la danse rencontre les arts plastiques, de dire Mme Pineault. Grâce à la chorégraphie d’Hélène Langevin, les artistes reproduiront les œuvres projetées avec l’aide des technologies multimédias. » La Ville en rouge, pour les 9 à 12 ans, est une coproduction du Théâtre du Gros Mécano et du Théâtre populaire d’Acadie. C’est l’aventure de quatre adolescents de Sainte-Inertie-de-l’Énergie, le village insignifiant où rien ne se passe, qui découvrent les écrits de Che Guevara, surtout le mot « révolution », un mot plein de promesses dont le sens leur échappe. Ils se rendent donc à la Ville en rouge afin d’en découvrir plus sur ce concept étrange et étranger. « C’est un voyage initiatique pour des jeunes en quête d’identité, de dire Mme Pineault. Ils apprennent que tous les chemins mènent à la Ville en rouge. »
Nouveautés au TNO
En plus des surtitres anglais, qui avaient été introduits lors de la dernière saison et qui seront disponibles lors de plusieurs des représentations, le TNO, en partenariat avec La Slague, offre une carte-rabais valide chez plusieurs commerces locaux à l’achat d’un billet de saison du TNO pour 2013-2014. « Cette carte permettra d’obtenir des rabais intéressants chez les commerces participants, de souligner la directrice. Il suffit d’aller voir le www.leTNO.ca pour en apprendre plus sur cette promotion((Nicole Lortie, « À la hauteur d’une réputation grandissante », Le Voyageur, 15 mai 2013, p. B2.)). »
En 2014, le TNO se voit décerné le Prix du premier ministre pour l’excellence artistique. La bourse de 50 000$ est accordée aux organismes qui se démarquent par leur contribution à la production ou à la distribution d’œuvres d’artistes professionnels((« Le TNO mérite un prix prestigieux », Le Voyageur, 7 janvier 2015, p. 12.)).
Théâtre du Nouvel-Ontario – Quand tout va bien
1982
En 1975, c’est avec une nostalgie teintée du hasard que j’ai répondu à l’appel de la Slague à la recherche de bénévoles pour transformer la salle paroissiale de l’église Ste-Anne en une salle de spectacle. « Hasard » parce que j’avais connu cet édifice comme enfant quand mon oncle Victor, qui était le concierge de l’église, y vivait avec son épouse et mes grands-parents. Dans la cave il y avait une salle de quilles qui devenait notre salle de jeux.
Donald Laframboise gérait le projet de rénovation qui incluait y installer un système électrique assez puissant pour alimenter un éclairage de théâtre et aussi de fixer des sièges reconditionnés au plancher. J’ai travaillé avec Suzanne Bertrand, une graduée du programme d’art de Cambrian. Dès ce même automne nous avons commencé à recevoir des spectacles de théâtre et de musique attirant même des groupes comme Harmonium et Beau Dommage.
Je suis demeuré un consommateur passif de bons spectacles jusqu’en 1978, quand le TNO me demanda de construire le décor pour « L’ours de Tchekhov », suivi quelques semaines plus tard d’un décor pour « Et si le petit chaperon rouge … ». C’est ainsi que je deviens un « théâtreux ».
Le lieu « La Slague » est rapidement devenu le cœur d’une culture dynamiquement en élan incorporant bientôt une galerie d’art (GNO) au rez-de-chaussée. De plus le curé nous permettait de construire nos décors dans la cave de l’église – une économie majeure pour nous. Il nous accorda même l’usage exclusif du deuxième étage de l’ancien presbytère où nous avons construit une chambre noire pour l’usage de Ciné-Nord et pour donner des ateliers de photos.
Tout allait bien au pays de notre culture francophone : en minimisant les dépenses et en travaillant de longues heures pour des petits salaires (aucun de nous avait des enfants), nous avons réussi à produire multiples bons spectacles. La Grande Histoire a noté que le bail de « La Slague » ne fût pas renouvelé après 1981 parce que la paroisse voulait niveler l’édifice préférant en faire un stationnement. La petite histoire, celle du vécu journalier, nous a informé qu’un élément déclencheur a été le sciage de bois dans l’atelier pendant une messe au-dessus. Le curé André Lemieux avait raison d’être fâché mais c’est quand même dommage d’avoir perdu notre salle de spectacle, le travail de cinq ans.
Les productions « La Slague » et la GNO sont déménagés au Centre des Jeunes pendant que le TNO a dû être entreposé dans un hangar sur la rue Whittaker.
Grâce à Yvan Rancourt, le TNO a survécu ; il forma un bureau de direction lequel recruta Brigitte Haentjens et Jean-Marc Dalpé.
Nous avons quitté le centre-ville pour nous retrouver au Moulin à Fleur dans le vieil édifice Canada Bread au 90 King. Habiter une vieille boulangerie abandonnée, un édifice négligé depuis plusieurs années présentait des défis particuliers, les hivers surtout. En effet le chauffage était inefficace ou inexistant. Certains shows ont été répétés en costumes de motoneige avec mitaines et foulards. Parce qu’il n’existait que très peu de circuits électriques fonctionnels, les rallonges sillonnaient les planchers.
Toute la formule de travail était différente. Tout était à repenser, à inventer ; construire des décors au deuxième étage d’un édifice, les transporter à une salle louée, la plupart du temps au Club Alouette ou au Centre Jubilee – où souvent des transformations complexes étaient nécessaires…
Malgré les difficultés, ou peut-être à cause d’elles, les productions d’envergure se sont multipliées. Le 90 King est rapidement devenu une ruche d’activités créatives qui accueillait des groupes de musique, de théâtre et de danse.
Nous étions une équipe aux qualités multiples et variées, prête à affronter toute difficulté mais il nous manquait un ingrédient important… on pourrait dire un.e «COACH». J’oublie qui a été responsable du repêchage de Paulette Gagnon de Hearst mais elle est rapidement devenue la gardienne des buts du TNO en se dédoublant comme « coach ». Elle donnait des ailes à tous nos rêves en les concrétisant, en les propulsant plus loin qu’anticipé. C’est Paulette qui provoqua l’idée d’acheter le 90 King. « Si on est pour mettre tout le travail pour le rendre habitable, pourquoi ne pas l’acheter, l’édifice? »
Le concept d’achat était semé, se glissait souvent dans nos conversations. Typiquement d’elle, Paulette avait discrètement ouvert un dossier actif de recherche sur le sujet… et le jour viendrait…
Nous avions réalisé que le TNO était méconnu ou inconnu au Moulin à Fleur. Le show communautaire attirait quelques personnes courtisées pour y jouer certains rôles mais c’était trop peu. Encore la Gagnon qui nous lance à la fin d’une réunion : « Si on veut vraiment être connus au Moulin à Fleur, y va falloir sortir de notre coquille, aller dans le monde, socialiser… Vous voulez des idées … j’sais pas, on pourrait organiser un genre de fête champêtre, ou une danse… ou une foire avec marché aux puces … »
Ainsi est née la Fête du Moulin à Fleur. Étant une intervention sociale, nous l’avons préparée en dehors des heures de travail. Nous avons, Paulette et moi, recruté des personnes-clef dans la communauté pour former un groupe de travail : l’échevin Ricardo de La Riva, Claire Pilon du Voyageur, Carmen Bertrand du parc O’Connor, Gaetan Blais de l’hôtel Park, Arthur Pharand de la Caisse Pop, Guy Lagacé, le propriétaire du dépanneur Lagacé.
Un petit prélèvement de fonds chez les commerçants du Moulin à Fleur, la vente des espaces du Marché aux puces (25$ ch.), les profits de la cantine et de la tente à bière devaient suffire à financer la fête… sans subventions.
N’ayant fait qu’un minimum de publicité, après tout, c’était une fête de voisinage, quelle ne fût pas notre surprise le premier jour de la fête de voir la rue St-George s’emplir de plus de 6 000 personnes. Nous avions attiré, en plus des résidents du Moulin à Fleur, un grand nombre qui y avaient des racines quelconques.
Nous avons refait la fête les deux prochaines années, avec le même succès. En plus d’être connus, on nous visitait. Mais nous avions tous les deux de nouvelles responsabilités à la maison. Paulette avec bébé Julien, moi avec bébé Antoine. Le dossier édifice était aussi en enfance et exigeait beaucoup d’attention. Nous n’avions plus le temps pour organiser la fête surtout que Paulette avait initié un projet de rénovation majeure qui impliquait d’accueillir Prise de Parole et la Galerie du Nouvel-Ontario au rez-de-chaussée. Un comité formé des trois organismes se rencontrait régulièrement pour élaborer leurs besoins que l’architecte Louis Bélanger interprétait en dessins. Paulette avait sécurisé des garanties de subventions de 2.3 millions…
Tout allait bien encore au pays de notre culture franco-ontarienne quand la bombe explosa : la direction du TNO avait décidé de se joindre à la construction du Collège Boréal. Plusieurs personnes ont été froissées, même blessées, par ce détournement. Le temps guérit, dit-on. C’est vrai. Mais a-t-on assez de temps pour guérir des erreurs non comprises, même admises.
Un vieil adage en construction nous répète qu’il faut bâtir pour demain, non pour hier. Le TNO possédait un édifice de 27 000 pieds carrés. La superficie du TNO au Collège est de 6 000 pieds carrés. S’il était demeuré au 90 King, le TNO aurait bénéficié d’une salle de spectacle construite selon des considérations techniques et acoustiques spécifiques à un théâtre. Au Collège, la salle est simplement un gymnase doté d’un grid d’éclairage. Le système de chauffage est tellement bruyant qu’on doit l’éteindre durant les spectacles mais il demeure impossible d’étouffer la flagellation de la pluie sur le toit. En construction de décor l’idéal est d’avoir 2 pieds carrés d’entrepôt pour chaque pied carré d’atelier. Ces normes auraient été respectées au 90 King. Il n’y a aucun entrepôt pour l’atelier au Collège et l’atelier est si petit qu’il serait dangereux d’y ranger des décors. Il devient nécessaire d’utiliser les corridors et les coulisses. Le TNO est locataire au Collège…
L’expérience du TNO au Collège fut sans doute motivée par de bonnes intentions. Il y avait certains avantages : le stationnement était immense et les architectes s’occuperaient du design. Mais les architectes avaient leurs propres problèmes de constrictions budgétaires et leur priorité demeurait l’école. C’était normal. C’est du passé.
Malgré toutes les lacunes d’espace et d’acoustique, le TNO a continué sa production de spectacles de haute qualité. Les shows professionnels et communautaires ont attiré un nombre rapidement grandissant de spectateurs jouant de plus en plus souvent à guichet fermé, remplaçant la fournaise avec l’haleine d’une salle comble.
Bon! Fini mon « rant » spéculatif. Je me le suis permis parce que j’ai contribué bénévolement plusieurs mille heures à des projets et des entreprises qui trop souvent n’existent plus…
J’enlève mon chapeau de « critique » pour vous assurer que mon expérience au TNO a été enrichissante. J’ai côtoyé des grands talents de la scène comme Robert Marinier, Brigitte Haentjens, Jean-Marc Dalpé, Robert Bellefeuille, Roch Castonguay, Michel-Marc Bouchard, Alain Doom, Pier Rodier, Marie Thé Morin, André Perrier, André Roy. Tous ces grands talents nécessitaient un support financier qui fût assuré – discrètement, en coulisses – par les plumes magiques d’Yvan Rancourt, Paulette Gagnon et Sylvie Mainville qui savaient convaincre les agences gouvernementales de la valeur de notre produit. Comme un iceberg le théâtre est stabilisé par une masse invisible de grands talents, telles ces trois personnes qui ce sont investies dans le domaine culturel au lieu des profits personnels.
Présentement le résultat de douze ans de travail de sept organismes francophones s’élève au centre-ville de Sudbury, la Place des Arts. Avant tout, c’est dans la tête et le cœur de Paulette Gagnon que ce projet d’envergure a été réalisé. Peut-être qu’afficher son nom sur l’édifice qu’elle a créé pourrait insuffler en nous la capacité de concrétiser et bien gérer nos rêves. Peut-être est-il le temps de nous dévouer à autre chose que les déménagements et les recommencements…
Orphelinat d’Youville
1929 – 1982
Aujourd’hui, le site est vide.
L’édifice qui y siégeait, le 38 rue Xavier de son adresse municipale, n’y est plus. Vidé de ses occupants en 2004. Démoli en 2006. Aujourd’hui, le site est sans vie. Sauf que…
Si l’on s’approche du rocher noir qui constituait sa frontière nord et qui supporte, depuis les années 1950, à son sommet, le Marymount College, et on y tend l’oreille. Si on s’arme de patience et on attend. Lentement, mais sûrement, le rocher commence à faire entendre des sons, des voix. Graduellement, les sons et les voix s’amplifient. Les sons et les voix d’enfants de tous âges que le rocher a captés et enregistrés pendant plus de 80 ans, plus précisément de 1895 à 1982, deviennent de plus en plus audibles. Des cris de joie, souvent des pleurs, des rires, des remontrances virées en colère. De jeunes filles. De jeunes garçons. Même d’adultes.
Et bientôt le site reprend vie.
La vie de jeunes élèves regroupés d’abord dans quatre, et ensuite six, classes du Brown School ou de l’école brune construite en 1895 par la maison Laberge à la demande de la Commission scolaire des écoles séparées de Sudbury. Ensuite, à compter de 1929, la vie de jeunes enfants et d’adolescents orphelins.
L’éducation des jeunes catholiques
Dès les débuts de la paroisse Ste-Anne-des-Pins établie par les pères Jésuites en 1883, ces derniers se sont préoccupés de l’éducation des enfants catholiques, Canadiens((À cette époque, les Canadiens-français s’appelaient des Canadiens pour se distinguer des Anglais.)) et Anglais, du village de Sudbury. Compte tenu de la croissance constante de la population catholique, ils ont dû changer de local régulièrement afin d’avoir suffisamment d’espace pour prodiguer cette éducation catholique en français et en anglais. Dès 1884, ce fut d’abord dans le presbytère paroissial, ensuite dans un édifice abandonné du Canadien-Pacifique, rue Durham. En 1888, l’église Ste-Anne, alors en construction, fut divisée en trois parties : une chapelle, une salle paroissiale et un local scolaire constitué de quatre classes.
Lorsqu’un incendie détruit l’église, le 29 mars 1894, la Commission scolaire des écoles séparées, établie en 1888, a décidé d’ériger le Brown School/l’école brune sur la rue Xavier, juste au nord du presbytère et de l’église. Les Sœurs Grises de la Croix d’Ottawa deviennent responsables de l’enseignement dans cette école à compter de 1898. Mais la croissance des élèves se poursuivant, la commission s’est vue obligée d’ouvrir des locaux additionnels, cette fois dans le Jubilee Hall, au coin des rues Durham et Beech.
En 1914, la commission scolaire a décidé de faire construire, par la maison Laberge, l’école Centrale, rue Mackenzie. La construction de quatre nouvelles écoles catholiques, de 1922 à 1928, a mis fin à la vie de l’école brune.
L’orphelinat d’Youville
Le père Napoléon Paré, s.j., prêtre à la paroisse Ste-Anne, a proposé, dès 1909, un orphelinat pour les enfants catholiques car ces derniers devaient « chercher refuge dans un orphelinat neutre, contrôlé par le gouvernement et confié aux soins d’une matrone anglaise et protestante((Sœur M-Emma Bergeron s.g.m., « L’orphelinat d’Youville de Sudbury », Sudbury, Société historique du Nouvel-Ontario, Documents historiques No 9, 1945, p.33)) ». Bien que les enfants avaient le libre exercice de leur religion, on craignait leur endoctrinement dans une religion protestante. C’est pourquoi le père Paré commença à penser à un orphelinat pour les enfants catholiques.
En 1928, le Brown School, devenu vacant, a été vendu aux enchères à Alex Turpin et Charles Davis, propriétaires de l’hôtel Frontenac, rue Beech, en face de l’église. Voyant l’occasion d’établir son orphelinat dans cet immeuble vacant, le père Paré réussit à prélever la somme de 1 000 $ auprès des paroissiens et des organismes catholiques et s’en porte acquéreur.
Muni d’un édifice, lui restait à trouver des responsables pour s’occuper de l’orphelinat. Après de nombreuses démarches, il réussit à convaincre les Sœurs Grises de la Croix de Nicolet d’en prendre charge. Et c’est ainsi que le 30 mai 1929, l’orphelinat d’Youville (souvent appelé le Foyer d’Youville) a ouvert ses portes pour y accueillir des enfants catholiques devenus orphelins. Dès son ouverture, le Department of Public Welfare du gouvernement ontarien lui octroie cinq sous par jour par enfant afin de soutenir financièrement cette œuvre.
Aux six classes construites en 1895 s’ajoute, en 1934, une aile de deux étages, au nord de l’édifice existant, contenant deux salles de récréation, un réfectoire plus spacieux et des salles d’infirmerie.
La communauté religieuse de Nicolet continua d’assumer la direction du foyer jusqu’en 1952 lorsque les Sœurs Grises de la Croix en deviennent responsables et ce jusqu’à sa fermeture au début des années 1980.
Le Centre-franco-ontarien de folklore a ensuite occupé l’édifice de 1982 à 2004 lorsqu’il fut abandonné. En 1982, la Ville de Sudbury a désigné l’édifice comme édifice patrimonial((Règlement municipal 82-80.)) assurant ainsi sa pérennité. Toutefois, en 2006, son propriétaire, le Diocèse du Sault Ste-Marie, a demandé à la Ville un permis de démolition se disant incapable de financer les rénovations requises dont les coûts s’élèvent à 750 000 $.
Marie-Marguerite d’Youville (1701-1771)((Le texte qui suit est tiré en partie de Taylor C. Noakes, « Marie-Marguerite d’Youville », https//l’encyclopédiecanadienne.ca, publié le 2 mars 2008 et modifié le 2 février 2020.))
L’orphelinat (tout comme la rue qui la surplombe au haut du rocher) tient son nom de Marie-Marguerite d’Youville, fondatrice des Sœurs de la Charité de l’Hôpital Général de Montréal, mieux connues sous le nom des Sœurs Grises.
Marguerite est la fille de Christophe Dufrost de Lajemmerais et Marie-Renée Gaultier, de Varennes au Québec. Son père est mort lorsqu’elle avait 7 ans, laissant la famille dans l’indigence. Grâce à son arrière-grand-père maternel, Pierre Boucher de Boucherville (ancien gouverneur de Trois-Rivières), Marguerite peut se rendre à Québec, de 1712 à 1714, recevoir l’enseignement religieux des Ursulines. Après son retour à Varennes, Marguerite, âgée de 13 ans et l’aînée de six enfants, entreprend l’éducation de ses frères et sœurs tout en aidant sa mère veuve((L’un de ses oncles était l’explorateur, officier militaire et marchand de fourrures, Pierre Gaultier de Varennes et de la Vérendrye qui a cartographié l’ouest du Manitoba et construit des postes de traite du lac Supérieur au lac Winnipeg.)).
Sa mère épousa, vers 1718, Timothy Sullivan (qui adoptera plus tard le nom de Timothée Sylvain), né en Irlande. Il est âgé de 24 ans et Marie-Renée en a 38. La nouvelle famille déménage à Montréal en 1721 où Marguerite épouse François d’Youville en 1722. Ils ont six enfants, dont quatre décèdent en bas âge. Les deux survivants deviendront prêtres. À compter de 1727, à l’âge de 26 ans, Marguerite commence son engagement dans des œuvres religieuses et caritatives, un engagement qu’elle poursuivra jusqu’à son décès en 1771.
Le 31 décembre 1731, Marguerite et trois collègues fondent une association pour aider les pauvres et ouvrent une maison pour les accueillir. Cette association, qui prend le nom des Sœurs de la Charité, deviendra les Sœurs Grises.
« L’origine du nom des Sœurs Grises est assez significative. Au début de la société de charité de Madame d’Youville, le peuple les injurait en les appelant sœurs grises ou vendeuses de boisson aux sauvages car on prétendait que madame d’Youville continuait le trafic d’alcool de son mari. D’autres les accusaient de s’enivrer avec l’eau de vie que leur fournissaient les Sulpiciens pour leurs malades((Sœur E. Mitchell, s.g.m., Elle a beaucoup aimé, Montréal, Fides, 1957, p. 69.)) ».
Les Sœurs de la Charité
Au début, les efforts de Marguerite sont consacrés à secourir les femmes ayant des besoins urgents car il n’existe à l’époque aucune institution à cette fin à Montréal. En 1749, la communauté religieuse obtient la charge de l’Hôpital Général de Montréal, fondé en 1747 et qui se trouve au bord de la faillite. Les Sœurs de la Charité transforment l’institution en refuge, entre autres, pour les personnes âgées, les infirmes, les enfants trouvés, les orphelins et les femmes en détresse. En juin de la même année, le roi Louis XV octroie à la communauté son statut légal et le titre de l’hôpital. Vers cette époque, les membres de la communauté commencent à porter l’habit gris qui deviendra leur signe reconnaissable pendant plus de deux siècles.
En 1755, les femmes entreprennent officiellement une nouvelle vie en tant que les Sœurs de la Charité de l’Hôpital Général de Montréal. Pour financer leurs œuvres, elles lancent de nombreuses entreprises, dont des fermes, un verger, un moulin et une boulangerie. Destiné au départ au soin des personnes indigentes, l’hôpital devient, durant l’épidémie de variole de 1755 et la Guerre de sept ans, un établissement médical plus complet. Les Sœurs Grises établiront, au cours des prochaines années, de nombreuses succursales régionales.
Marguerite décède en 1771. En 1959, elle est béatifiée par Jean XXIII. Elle est canonisée en 1990 par Jean-Paul II devenant ainsi la première personne née au Canada à être proclamée sainte.