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Planches produites à l’Île-aux-Chênes

1945 Comptoir dans le salon des employés au 3e

L’Île-aux-Chênes, dans le lac Nipissing près de Lavigne, a été non seulement un lieu de vacances en nature pour la jeunesse francophone d’un peu partout en Ontario, mais aussi un vibrant foyer d’animation culturelle, d’épanouissement personnel et d’esprit communautaire.


Île-aux-Chênes

ca. 1945

Des cèdres abattus par la tempête de 2006

L’idée de la colonie de vacances naît en Nouvelle-Angleterre, où un directeur d’une école pour garçons s’inquiète pour ses élèves adolescents. Après avoir entendu les histoires d’aventures de l’armée nordiste pendant la Guerre de Sécession, plusieurs élèves quittent les études et envisagent une carrière militaire. Le plaisir de préparer sa nourriture, de dormir dans une tente et de faire de longues randonnées dans la nature est considéré comme une expérience de ressourcement personnel. L’exemple du Gunnery Camp (Connecticut, 1861) se répand aux États-Unis((René Lacourcière, L’Île-aux-Chênes : colonies de vacances franco-ontarienne, 1945-1981, Sudbury, Université Laurentienne, mémoire de baccalauréat (histoire), 2000, p. 1-4.)). Au fil des ans, les colonies se spécialisent et offrent des programmes spécialisés, destinés aux filles ou à certains groupes religieux.

Au Canada, le YMCA d’Ottawa organise un premier « camp » en 1893, qui comprend des randonnées en canot dans le Nord de l’Ontario. Le « camp de jour » se distingue de la « colonie de vacance », puisque dans le premier cas, les enfants rentrent à la maison le soir, ce qui n’est pas le cas du second. À Sudbury, la minière Falconbridge est la première à fonder une colonie de vacance : il s’agit du Falcona Camp (1937) destiné aux enfants des employés((René Lacourcière, 2000, op. cit., p. 8-9.)). Le Mine Mill Camp (1952) est établi par le syndicat du même nom. Le YMCA crée John Island Camp (1954) sur la rive nord du lac Huron. Enfin, la ville de Sudbury établit le camp Sudaca sur le lac Ramsey (1968). Dans leurs programmes, les colonies mettent toutes de l’avant le développement du leadership. L’historien René Lacourcière fait une mise en garde cependant :

L’idée que la création d’une colonie de vacances aurait eu uniquement pour but d’exposer les jeunes aux beautés de la nature, paraît largement insuffisante pour expliquer ce foisonnement de colonies de vacances. On doit tenir compte d’autres facteurs et, notamment, du fait que durant le premier quart du XXe siècle, il y a eu des modifications aux lois qui régissent l’âge minimum où un enfant doit fréquenter l’école et l’âge minimum où une personne a le droit de détenir un emploi rémunéré. Aussi, il est possible de penser que la création et l’évolution des colonies de vacances au XXe siècle s’apparente plutôt à une garderie qu’à un désir d’exposer les jeunes à la belle et grande nature((René Lacourcière, 2000, op. cit., p. 11-12.)). 

D’ailleurs, les Canadiens français d’origine ouvrière ont pris l’habitude de fréquenter l’été le West Arm du lac Nipissing, plusieurs étant originaires de cette région, dont le père Jean-Paul Jolicoeur est un exemple :

La voiture connaissait le chemin. Après la messe le dimanche, on partait. […] On avait la ferme, [la terre paternelle des Jolicoeur à Saint-Charles]. Pour nous, c’était notre Disney World à nous autres, pendant toute notre jeunesse, pour le camping. On n’est jamais demeuré là, mais c’est un endroit où on allait assez souvent, pour toutes sortes de choses. On se retirait là les fins de semaines. Dans ce temps-là, les hommes […] quand ils avaient congé, allaient, ramasser des fraises et des bleuets((Jean-Paul Jolicoeur, 10 janvier 2020, op. cit., 8m, 1h20m.)). 

Au printemps 1945, les jésuites Thomas Migneault et Amédée Dupas cherchent « un beau coin de campagne pour y fonder une colonie de vacances pour enfants catholiques de langue française((Léon Meunier, « Quinze étés », 1961, Archives du Carrefour francophone, boîte 9, mémoires, rapports, brefs, filières Île-aux-Chênes, dans René Lacourcière, 2000, op. cit., p. 18-19.)) ». Ils tombent sur West Hardwood Island, située à l’embouchure entre le lac Nipissing et le West Arm, à cinq kilomètres à l’est de Lavigne. L’île sauvage fait un kilomètre en longueur et 750 mètres en largeur. L’Île est « inhabitée, sauf par des écureuils, des lièvres et des moutons qu’un cultivateur de Lavigne menait en pacage au printemps pour les ramener gras à l’automne », selon le père Léon Meunier, qui y passera 15 étés. La Couronne accepte de vendre le terrain à la Province jésuite du Canada français et de lui accorder un permis de construction. La colonie est baptisée Sainte-Anne-des-Chênes, un clin d’œil à la paroisse jésuite de Sudbury.

« À l’ombre des chênes de l’île, les campeurs auront désormais la même patronne titulaire que celle de la paroisse-mère((René Lacourcière, 2000, op. cit., p. 19.)). » 

Des séjours de camping sont organisés sur l’île à partir de l’été 1945. « L’été suivant, au grand émerveillement des petits suisses et des écureuils, on érigeait la première construction : c’est la maison centrale, […] contenant la cuisine, une grande salle à manger et quelques chambrettes dans le haut. » En 1947, on bâtit une chapelle « à l’ombre d’une touffe de pins((Léon Meunier, 1961, dans René Lacourcière, 2000, op. cit., p. 20.)) ». Enseignants du Collège du Sacré-Cœur, Dupas et Meunier acceptent la responsabilité d’organiser, d’administrer et de planifier une colonie et un programme auprès des jeunes en juillet et en août. Un premier dortoir est construit en 1950. Des améliorations sont apportées progressivement : un poêle à gaz propane arrive en renfort au poêle à bois, un réfrigérateur à gaz supplante la glacière, une génératrice d’électricité illumine les soirées, puis une pompe motorisée approvisionne la cuisine et le réfectoire le d’eau courante. On compte 14 bâtiments rudimentaires. Les campeurs dorment dans des tentes et se livrent à l’expérience à la grande nature, toujours selon le père Meunier :

Ces braves pionniers peuvent se rappeler, par exemple, le privilège qu’ils avaient de pouvoir se lever avant l’aube sans avoir à recourir à la sonnerie d’un cadran. Grâce à leurs bêlements en trémolo, d’aimables moutons se chargeaient volontiers d’assurer ce réveil matinal. […] Pour compléter et dominer le troupeau […], le propriétaire des moutons amenait avec eux son âne […]. Aussi inoffensive que sympathique pour les enfants, cette bête aux longues oreilles prenait parfois un malin plaisir à se joindre au concert des moutons. Elle secouait lentement une tête grinçante à pleines dents, comme pour scander le bonjour matinal. […] Ce coquin d’animal poussait la plaisanterie parfois jusqu’à se passer la tête dans l’ouverture d’une tente, et, si les dormeurs s’obstinaient dans leur sommeil, il mettait littéralement le nez dans leurs affaires, fouillait tout le linge et finalement laissait de profondes empreintes dentaires dans un savon de toilette((Léon Meunier, 1961, dans René Lacourcière, 2000, op. cit., p. 21.))…

D’après l’historienne Suzanne Dubé, c’est un coin tranquille pour que « les jeunes s’initient progressivement à une vie sociale plus authentiquement humaine et chrétienne((Suzanne Dubé, « Les années de transition (1967-1975) », dans Guy Gaudreau (dir.), Du Centre des Jeunes au Carrefour francophone 1951-1990, Sudbury, La Société historique du Nouvel-Ontario, 1992, p. 43.)) » lors des échanges, de randonnées en forêt, de baignades et de recueillements. Cette approche s’inspire du personnalisme catholique, mais il n’y a rien de particulièrement catholique dans le camping, la marche et le plein air. Selon Lacourcière, l’Île-aux-Chênes est française et catholique dans son esprit, mais ne se distingue pas des autres camps au niveau de ses activités((Marc Despatie et Lucie Le Blanc, « Le semeur de rêves (1951-1960) », dans Guy Gaudreau (dir.), 1992, op. cit., p. 31 ; René Lacourcière, 2000, op. cit., p. 21-23.)). La programmation attire des jeunes de Sudbury, mais aussi du Nipissing, de Timmins et de Toronto. 

Âgée de huit ans en 1956, Denise Paquette-Frenette se rappelle que 

c’était la première fois que je quittais la maison, donc j’ai pleuré pas mal les premiers soirs, parce que je m’ennuyais […]. Je me souviens une fois qu’on était rendu à Lavigne, là c’était une espèce de barge et c’était le capitaine Cazabon, le père de Benoît Cazabon [le linguiste de l’Université d’Ottawa, originaire de Verner]. C’était sa mère qui était la cuisinière. Ils étaient la maman et le papa de l’Île aux Chênes. Il y avait des conseillères […]. Il y avait la grande salle où on mangeait, il y avait des cabines séparées où l’on couchait. […] Je me souviens que je n’aimais pas les déjeuners, parce qu’on servait de la soupane, et je n’aimais donc pas la soupane! […] C’est du gruau, avec l’avoine. J’imagine que ça coûtait moins cher. […] On faisait de la pêche à la brunante dans des chaloupes, après le souper. Il y avait une belle chapelle où l’on sentait encore le bois. Il y a dû avoir la messe à tous les jours, parce que je me rappelle de la chapelle! On y allait souvent […]. Il y a dû y avoir des feux de camps. […] On a sûrement chanté des chansons […] Je sais qu’on avait monté au moins un spectacle, avec les conseillères des cabines. J’étais là quelques jours ou une semaine. Mais je n’ai pas aimé ça assez pour y retourner!((Entretien ZOOM de Serge Dupuis avec Denise Paquette-Frenette, 10 août 2021, 1m.)).

« Si c’est le rapport que j’ai eu, que t’as pleuré tout le temps et que la bouffe n’était pas bonne, ça doit être pour ça que je n’y suis pas allé!((Entretien ZOOM de Serge Dupuis avec Robert Paquette, 10 août 2021, 7m.)) », rigole son frère Robert. Selon lui, « le Centre des Jeunes, c’était vraiment pour des beaucoup plus jeunes, de 6 à 13 ans. Après ça, les adolescents passaient à autre chose. Heureusement, après ça, on a pu structurer des choses pour eux((Robert Paquette, 10 août 2021, op. cit., 1h34.)). »

Malgré les collectes de fonds des Dames auxiliaires de la paroisse, le soutien du Club Richelieu de Sudbury et les collectes de fonds((Suzanne Dubé, 1992, op. cit., p. 52 ; René Lacourcière, 2000, op. cit., p. 25.)), Sainte-Anne-des-Chênes, qui fonctionne comme organe sans but lucratif, a accumulé une « dette importante((René Lacourcière, 2000, op. cit., p. 24.)) ». Les jésuites trouvent une solution dans le transfert des droits de propriété et de la dette de la paroisse au Centre des Jeunes. Le nom change de Sainte-Anne-des-Chênes à l’Île-aux-Chênes, peut-être afin de signaler la place des laïcs dans la nouvelle organisation. 

Suivant le départ des pères Dupas (1955) et Meunier (1963), le père Albert Regimbal, directeur du Centre des Jeunes, devient aussi directeur de l’Île-aux-Chênes. Au niveau de sa programmation, la colonie devient une extension de la programmation du Centre des Jeunes, qui constate un manque d’« activités organisées en français pendant l’été pour les enfants((Léon Meunier, 1999, dans René Lacourcière, 2000, op. cit., p. 25-26.)) ». On passe d’un camp de scouts, plus catholique, à un camp plus culturel, thématique. À compter de 1966, Florence Gauvreau organise deux camps de danse de 10 jours pour les filles franco-ontariennes de plusieurs régions. En 1967, le Centre des jeunes, en collaboration avec le Service de la Jeunesse et des Loisirs du ministère de l’Éducation de l’Ontario, organise un camp de leadership, également pour 10 jours, pour des jeunes adultes (16 à 30 ans), qui sera organisé jusqu’en 1971. Mais les garçons ne participent presque plus, donc le père Regimbal demande à la sœur grise Monique Cousineau, en 1968, qui dirige une chorale, d’organiser un camp de musique pour les garçons((« Camp de l’Île-aux-Chênes », Le Voyageur, 21 mai 1969, p. 5; René Lacourcière, 2000, op. cit., p. 27.)). L’été suivant, on propose un premier camp mixte; elle deviendra son bras droit. On crée aussi, en 1969, un camp de théâtre. L’île est branchée au réseau d’électricité, par un câble sous-marin en provenance de Lavigne, en 1970. Outre les camps de danse et de leadership, les autres camps misent sur les enfants, divisés par tranches d’âge. 

L’île se dote d’un caractère franco-ontarien. « On a adopté la tendance aux loisirs culturels, moins plein air, plus culturel((Monique Cousineau, 1999, dans René Lacourcière, 2000, op. cit., p. 29.)) », d’après Cousineau. On cherche ainsi à « faire vivre une expérience collective à un groupe d’enfants d’un peu partout de l’Ontario qui faisait partie d’une famille franco-ontarienne ». Elle poursuit :

Ce qu’on voulait faire, c’était une expérience globale en français en incluant non seulement le plein air, les sports, la natation, les jeux, mais également la musique, le chant choral, la danse, le théâtre, des expériences de groupes […]. Le but était de faire vivre aux enfants une expérience où le personnel et les enfants vivaient la même expérience. […] Les enfants sentaient qu’ils faisaient partie d’une expérience. Le père Regimbal insistait beaucoup sur ça((Monique Cousineau, 1999, dans René Lacourcière, 2000, op. cit., p. 31.)).

Cousineau, confiera plus tard aux historiens Gaétan Gervais et Robert Toupin :

Le souvenir que j’ai de lui, c’est que c’était un homme très fort, mais un prêtre qui n’était pas tout à fait comme les autres. D’ailleurs, les Jésuites ne sont jamais tout à fait comme les autres. Le père Regimbal ne nous parlait pas beaucoup d’évangiles, puis de morale. Il nous faisait aimer des belles choses en tant que jeune. Grâce au père Regimbal à Sturgeon Falls, nous avons eu nos premiers contacts avec les grands musiciens. Je pense à Maureen Forrester, à Pierrette Alarie, à son mari Léopold Simoneau, à Fernande Chiocchio et à Paul Tortelier. Le père Regimbal voyait venir une certaine assimilation qu’il craignait énormément. Il voulait donc nous donner le goût d’être canadien-français — c’est le terme qu’on employait à ce moment-là — par la culture. Je l’ai connu également lors de camps de leadership ou de séances de leadership qu’il donnait pour tous les jeunes du Nord de l’Ontario. Je sortais toujours de là un peu dérangée, parce qu’il avait le don de déranger les gens. Il nous posait peut-être des questions auxquelles on n’était pas habitué, mais cela aboutissait toujours à l’action très engagée. C’était aussi rattaché à des activités religieuses, parce qu’à ce moment-là, c’était par l’intermédiaire des paroisses que passait la culture. Ensuite, j’ai connu le père Regimbal parce que j’ai travaillé de très près avec lui dans les camps d’une petite île du lac Nipissing. J’ai fait, pendant treize étés, des camps de musique, de théâtre, d’activités sportives, tout en français pour que les enfants découvrent que le français ne se vivait pas seulement dans une école ou à l’intérieur d’une salle de classe. Le père Regimbal voulait toujours que le français ait sa place au soleil et au plan de la cité. J’ai travaillé au Centre des jeunes pendant treize ans, où j’ai pu connaître le père Regimbal de très près. C’était un homme d’idées et de rêves, je l’ai dit plusieurs fois. J’ai appris de lui sans doute l’importance pour une communauté de penser son leadership et d’avoir une vision. C’est peut-être cet aspect qui me reste le plus de lui. Il nous communiquait cette vision et c’est peut-être l’une des faiblesses de certains leaders de nos jours soit sur le plan local ou sur le plan national. On ne peut pas motiver une collectivité sans vision. La vision que le père Regimbal avait pour la communauté franco-ontarienne se reflétait dans ses institutions à tous les plans; une communauté qui pouvait s’amuser en français, qui pouvait respirer en français, qui avait une qualité de vie, qui n’était pas composée de citoyens de deuxième classe. Il a essayé de nous communiquer cette vision, cette motivation, pendant toute sa vie. On peut parler de l’œuvre des Jésuites, mais je n’aime pas trop cette expression, parce qu’elle oublie de mentionner que cette œuvre a eu énormément de collaborateurs. Je me souviens en tous cas de tous les collaborateurs à qui les Jésuites communiquaient le goût de ce qu’ils faisaient((Monique Cousineau, 1990, dans Gaétan Gervais et Robert Toupin, Les Jésuites en Ontario. Entretiens édités et colligés par Serge Dupuis et Jean Lalonde, Sudbury, La Société historique du Nouvel-Ontario, 2014, p. 136.)).

Selon la monitrice Suzanne Lacourcière-Dubé, la motivation du père Regimbal est d’« aider les jeunes et les moins jeunes à être heureux ». Le chemin pour se rendre à bon port implique de « faire confiance au groupe, […] car c’est un seul groupe qu’il faut former((Suzanne Lacourcière-McLean, Cahier Île-aux-Chênes, Camp Ado, 1981, dans René Lacourcière, 2000, op. cit., p. 1.)) ». L’Île-aux-Chênes permet au père Regimbal de « former un groupe » avec des campeurs et des moniteurs francophones. Il incombe à l’équipe de l’Île aux Chênes d’inculquer des valeurs pour les jeunes, épanouis et engagés, appelés à œuvrer dans une société industrielle et capitaliste. Pour que les jeunes retrouvent une fierté de leur héritage et de leur culture, les bâtiments portent les noms de figures et d’artistes, soulignant l’importance des loisirs, comme le rappelle René Lacourcière :

Les bâtiments les plus importants pour les diverses activités étaient la Place des Arts où tous les stagiaires et le personnel se réunissaient pour des discussions, des récitals et des soirées de danse; le Rideau Vert où avaient lieu les ateliers de théâtre; et Chez Picasso où se donnaient les cours d’arts plastiques. Le réfectoire se nommait le Goblet musical et la chapelle était baptisée Au Sommet de l’Harmonie. Le centre de rencontre pour la collation de l’après-midi s’appelait le Kiosque Félix-Leclerc. Le bâtiment des premiers soins, Musico Bobo, la cabine [expression utilisée à l’Île pour parler des installations] du père Regimbal Chez La Mi (écrit en notes musicales) et la cabine de Monique Cousineau, À l’écoute de Bach((René Lacourcière, 2000, op. cit., p. 40-41.)).

D’après Cousineau,

La participation des jeunes à l’Île-aux-Chênes ne comportait qu’un seul critère obligatoire, celui de parler français. Être catholique n’était pas une obligation. Il y avait au début des éléments catholiques mais, vers la fin, on disait plutôt ‘une expérience chrétienne’, car on a accepté très souvent les enfants protestants, juifs de la région de Toronto et, une fois, même un musulman((Monique Cousineau, 1999, dans René Lacourcière, 2000, op. cit., p. 43.)). 

À l’écrit, Regimbal ne dit rien sur son attachement à la question nationale, mais laisse certaines notes sur son inspiration qu’on pourrait décrire comme étant « personnaliste » :

Une organisation qui vit au niveau des tâches, est vouée à aboutir à la compétition, à la rivalité, à la survivance du plus fort ou du plus astucieux, enfin à la mort. Le Centre (Civitas Christi) pense à la Société nouvelle : société de service engagée dans la créativité qui succède déjà, en désir, à la Société de consommation (industrielle et capitaliste). L’inspiration, âme de la Cité nouvelle, est en relation directe avec le niveau de sa motivation. Si la motivation est la tâche immédiate, il s’ensuivra une politique d’efficacité à court terme qui vivra de compétition ; si la motivation est le but ultime à long terme, il s’ensuivra une politique beaucoup plus souple, plus respectueuse des valeurs humaines engagées, et plus susceptible d’engager son monde au-delà du succès et de l’efficacité de la tâche, aux relations d’amitié au sein de l’équipe responsable. Cette inspiration permettra à tous ceux qui la partagent de réviser leur action avec un esprit d’auto-critique positif. De là naîtra une action sans cesse engagée et sans cesse renouvelée((Notes du père Regimbal « Camp Ado 1980, à la veille de l’accueil », dans René Lacourcière, 2000, op. cit., p. 34-35.)).

Dans une annonce pour Le Voyageur en mai 1974, on peut lire : 

Le camp de l’Île-aux-Chênes […] offre aux jeunes francophones de l’Ontario la chance inestimable de vivre une expérience culturelle axée sur la créativité individuelle et collective, sur l’intégration des arts et de la nature, sur le leadership. L’Île-aux-Chênes ‘74 offrira donc cette année quatre camps distincts […] Camps de danse […] pour les enfants de 6 à 15 ans, […] camp de loisirs culturels […] pour les enfants de 6 à 8 ans, […] camp de loisirs culturels […] pour les enfants de 9 à 12 ans […] (et) Camp Ado […] pour les jeunes de 13 à 15 ans((« Île-aux-Chênes ‘74 », Le Voyageur, 15 mai 1974, p. 18.)). 

À l’été 1977, l’Île-aux-Chênes intègre un projet d’hébertisme, un conditionnement physique basé sur les mouvements naturels que sont la course, le saut et l’escalade. L’île suspend, en 1978, les camps de danse et ajoute à ses diverses sessions un camp d’immersion française pour les 8 à 12 ans((« Projet d’hébertisme à l’Île-aux-Chênes », Le Voyageur, 27 mai 1977, p. 17; « Été ‘78 à l’Île-aux-Chênes », Le Voyageur, 5 avril 1978, p. 14; « Quel sera l’enfant chanceux ? », Le Voyageur, 3 mai 1978, p. 42.)). Les groupes sont divisés entre les tranches de 6 à 8 ans, de 9 à 11 ans et d’adolescents. Une inscription coûte entre 69$ pour un camp de 6 jours et 115 $ pour un camp de 10 jours (de 260 à 430 en dollars de 2020) 

L’équipe de 25 personnes (la directrice, le gérant, les cuisiniers, les assistants, les responsables des premiers soins, les responsables des programmes et les animatrices) reste tout l’été au camp, de mai à août. « Quand nous sommes arrivés à l’Île, nous étions tous des étrangers et quand nous en sommes repartis, nous étions tous des amis((Thérèse Blier, « Une semaine à l’Île-aux-Chênes », Info-Impact, Thunder Bay, 1978, dans René Lacourcière, 2000, op. cit., p. 14.)) » selon Thérèse Blier en 1978. On compte aussi une cinquantaine de stagiaires((« Emploi d’été pour étudiants : Île-aux-Chênes », Le Voyageur, 15 février 1978, p. 5; « Emploi à l’Île-aux-Chênes », Le Voyageur, 17 janvier 1979, p. 5.)). Lacourcière revient sur la formation offerte : 

Ces sessions comprenaient aussi des ateliers de psychologie de l’enfant, de l’adolescent, de l’enfant à l’extérieur de son foyer et de l’historique de la culture canadienne-française et franco-ontarienne. Pour être candidat à un emploi sur l’île, il fallait répondre à certaines exigences. D’abord, être résidant [sic] de la région de Sudbury, ensuite avoir terminé au minimum l’école secondaire. […] Enfin, il fallait être francophone et respecter le caractère chrétien de l’Île((René Lacourcière, 2000, op. cit., p. 37.)).

Denise Paquette-Frenette enverra ses filles quand elles auront 6 et 8 ans, en 1979, mais elles aussi y iront une seule fois, « parce qu’elles ont trouvé ça d’être difficile d’être loin de la maison((Entrevue ZOOM de Serge Dupuis avec Denise Paquette-Frenette, 10 août 2021, 1m.)) ». D’ailleurs, la plupart des personnes ne reviennent pas pour une deuxième expérience. Parmi les 466 personnes qui auront travaillé sur l’île, dont 44 ont travaillé deux étés, 17 sont restés trois étés et 8 y ont œuvré quatre étés((René Lacourcière, 2000, op. cit., p. 38-42.)). Un élément explicatif mérite d’être mentionné : les animateurs sont des étudiants, qui passent au monde du travail rapidement. Cela étant, 85% des employés ne sont pas revenus après un été, en partie parce qu’il s’agit, selon Lacourcière, d’« une responsabilité très exigeante » aux niveaux du temps et du rapport entre la tâche et le salaire. Le 6 août 1981, la journée commence vers 7h30, un déjeuner à 8h, de l’aérobie vers 9h. Les activités durent 45 minutes et on avait la chance de participer à chacun des ateliers. Il y a un récital avant le souper, un souper, un peu de temps libre, suivi par une revue collective de la journée. L’entente de travail fait preuve d’« inflexibilité » d’après Lacourcière. Parmi les tâches, on retrouve l’expression en français, la participation à toutes les rencontres, « de respecter les expériences spirituelles qui se dérouleront », « d’accepter de faire une expérience de groupe (co-leadership) », « de ne faire aucun usage de drogues ou d’alcool », « d’accorder priorité aux stagiaires, de les respecter en tant que personne, de ne pas les punir, mais d’avoir recours à une discipline préventive((« Le Centre des Jeunes de Sudbury Inc. Île-aux-Chênes. Entente de travail », dans René Lacourcière, 2000, op. cit., Annexe II.)) ». 

L’Île-aux-Chênes est un projet déficitaire, mais les détails ont manqué à René Lacourcière pour procéder à une analyse sur plusieurs années. En regardant aux années 1978, 1979 et 1980, on constate cependant des défis. Alors que les salaires augmentent, les subventions de Jeunesse Canada au travail, de Théâtre-Action et d’Expérience Ontario stagnent. L’augmentation des frais d’inscription est insuffisante pour ralentir la croissance des déficits saisonniers, qui grimpent de 1 704$ en 1978 à 13 426$ en 1979, pour atteindre 18 091$ en 1980 – soit 58 300 en dollars de 2021((René Lacourcière, 2000, op. cit., p. 45-47 et annexes III et IV; Sophie Landry, 1992, op. cit., p. 59-60.)). L’été 1981, avec un record de 281 participants, constitue la dernière saison de l’île aux Chênes. Décédé en juillet 1980, le père Regimbal venait de commander une évaluation de « l’usage des 220 acres de l’îles et en particulier des 20 acres dont le Centre est propriétaire((Centre des jeunes de Sudbury, Rapport de la direction générale, 1981, p. 6, dans René Lacourcière, 2000, op. cit., p. 46.)) », qui conclura à l’inefficacité d’être propriétaire d’une île qui ne fonctionne que deux mois par année. Le déménagement du Centre à l’ancien hôpital Saint-Joseph occupe beaucoup d’énergies et de ressources, ce qui pousse le conseil d’administration à suspendre la programmation et à vendre le terrain.

En somme, René Lacourcière croit que l’Île-aux-Chênes « a donné le goût aux jeunes de vouloir parler, de communiquer, de penser et de vivre en français au sein d’une province majoritairement anglophone », soit « sa plus grande contribution ainsi que sa spécificité la plus évidente comparativement aux autres colonies de vacances de l’Ontario((René Lacourcière, 2000, op. cit., p. 49.)). » 

Le Carrefour francophone de Sudbury – nouvelle appellation adoptée en 1989 pour le Centre des Jeunes – lance le Camp Ouaouaron dans les années 1990((René Lacourcière, 2000, op. cit., p. 8.)). Pour leur part, le  Club Richelieu Les Patriotes et les Chevaliers de Colomb de la paroisse Saint-David de Noëlville inaugurent le Camp du Soleil du Nord sur le Lac-à-la-Truite de Noëlville en 1992. Ces colonies de vacances comprennent des excursions, des sports, du bricolage, de la musique, de la danse, des sorties, des journées thème et des activités culturelles en français, sans toutefois entretenir de lien avec la foi catholique. 


Serge Dupuis

Né à Sudbury (Ontario), Serge Dupuis est historien professionnel oeuvrant à Québec et membre associé à la Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d’expression française en Amérique du Nord de l’Université Laval. Il a réalisé un baccalauréat (Laurentienne, 2007), une maîtrise (Ottawa, 2009), un doctorat (Waterloo, 2013) et un stage postdoctoral (Laval, 2016) en histoire, obtenant des bourses du Conseil des recherches en sciences humaines du Canada pour ses trois formations d’études supérieures, entre autres. Auteur de cinq livres, puis d’une trentaine d’articles et d’essais, Serge Dupuis a été nommé un “parcours inspirant” par les Journées de la relève en recherche de l’ACFAS (2021). Dupuis a reçu, pour son livre sur l’histoire du mouvement Richelieu, le Prix d’auteur pour l’édition savante (2016) et le Prix Richard-Arès (2017) pour le meilleur essai paru au Québec. Pour ses recherches sur l’histoire des Canadiens français en Floride, il a aussi obtenu le Prix Lilliane-et-Guy-Frégault (2010) de l’Institut d’histoire de l’Amérique française.